Depuis jeudi dernier, le hashtag #cancelchatpicorg a circulé sur les réseaux sociaux grecs, exigeant la fermeture de la page chatpic.org, une page où n’importe qui pouvait, tout en conservant son anonymat, partager des photos ou des vidéos intimes de femmes, sans qu’elles-mêmes soient mises au courant, encore moins y consentir.
Ce sont des photos publiées principalement par des ex-partenaires / conjoints, mais selon les plaintes, il y a aussi des photos de femmes enceintes ou de femmes en train de mener des tâches quotidiennes, et qui ne sont pas conscientes que leur partenaire les prenne en photo! Sur une capture d’écran d’un des dialogues les plus effrayants déroulés dans cette page, certains hommes apparaissent « passer des commandes spéciales » pour des photos d’écolières d’une école spécifique! Dans d’autres dialogues, on voit des hommes proposer des échanges de photos de telle femme pour des photos d’une autre!
La femme comme objet sexuel, de vengeance et d’humiliation
L’existence même de cette page est peut-être une réponse claire à ceux qui se demandent – d’habitude pas honnêtement – pourquoi un mouvement et l’organisation des femmes sont nécessaires, puisque, selon ces personnes, nous sommes maintenant au 21ème siècle et que l’égalité des genres est depuis longtemps conquise!
Car, cette page décrit de la manière la plus dégoûtante, les perceptions de la place des femmes qui prévalent encore dans notre société. Photos de « vengeance », publiées par d’anciens partenaires, furieux que ces femmes ne soient plus leur « propriété » – et peuvent être la « propriété » d’un autre; pour cette raison, elles méritent d’avoir leurs photos personnelles mises en public et être traitées d’objets d’excitation sexuelle et ridiculisées. Des photos privées de femmes, qui les transforment en objets, pour divertir les humeurs des hommes. Photos prises sans que les femmes en soient conscientes ou parce qu’elles ont fait confiance à un partenaire, donc elles méritent cette humiliation, puisqu’elles étaient assez « stupides » ou « naïves » pour ne pas se rendre compte de ce qui se passait.
Les réflexes rapides et lents de la police
Quelques jours plus tôt, nous avions vu les forces de la police arrêter des membres d’organisations féministes qui se sont rassemblées au centre d’Athènes, avec un respect exemplaire des mesures sanitaires, pour unir leurs voix contre la violence sexiste, le viol et le féminicide. Dans ce cas, les réflexes de la police ont été extrêmement rapides, puisque dès que les premières banderoles ont été ouvertes, les arrestations ont commencé.
Cependant, dans le cas des plaintes déposées au sujet de la page ci-dessus, les réflexes policiers se sont avérés extrêmement tardifs. Selon les rapports, une jeune femme, lorsqu’elle a découvert ce groupe, s’est adressée à la police pour porter plainte, mais elle a été refoulée car elle « n’était pas personnellement concernée » !
Grâce à la réaction des femmes et de la société, la lutte a payé !
Alors, une fois de plus, les femmes et les hommes ont décidé de prendre les choses en main et de soulever la question sur les réseaux sociaux, appelant à la fermeture de la page! Ce n’est pas non plus la première fois que, face à l’indifférence de la police et des médias, des groupes de femmes, des organisations de gauche, etc. soulèvent des problèmes et font pression sur eux, les forçant à agir.
Une pétition a aussi été organisée quelques heures après le lancement du hashtag, dans le but d’exercer une pression et faire éliminer cette page web. Les signatures à cette pétition, ainsi que la vague des réactions dans les réseaux sociaux ont porté victoire: cette page web infâme est tombée moins de deux jours plus tard, samedi matin!
En Irlande aussi
Suite à la pression mise par le mouvement, un projet de loi pénalisant le “revenge porn” a été déposé au parlement irlandais début décembre. Ceci est dû à la réaction immédiate et très dynamique du mouvement à la nouvelle qui a circulé concernant une page similaire à celle grecque, décrite ci-dessus: une page ou des photos et vidéos de femmes, repérées sur des applications comme Tinder et Only Fans. Des photos partagées par des femmes donc sur ces applications, en toute confidentialité, ont été publiées sans qu’elles en soient mises au courant bien sûr. Il paraît que plus de 500 hommes ont participé au partage sur cette page web et que certaines photos ont été réparties par région, ce qui veut dire que des données personnelles, comme le lieu de résidence ou de travail de certaines femmes ont été rendues publiques!
Il s’agit clairement ici de violence sexuelle, du harcèlement et d’une violation explicite de l’ autonomie, de l’espace privé et de la dignité de ces victimes. Cette violation peut avoir des conséquences néfastes pour les victimes, leur santé mentale, ou même leur propre vie: plusieurs fois des victimes de “reveng porn” ont subi un stress énorme, ont fait une dépression ou se sont suicidées!!
En Belgique aussi d’ailleurs, nous avons repéré des initiatives pareilles, comme par exemple “Louvain-le-mec” ou bien “Les petites pêches perso”. Surtout dans le premier cas, celui de Louvain, les étudiantes ont réagi et dénoncé le sexisme apparemment assez répandu au sein de l’université.
Lutte pour une société sans sexisme
Dans les deux cas, de la Grèce et de l’Irlande, la réaction du mouvement à ces actes de violence et de harcèlement ont été immédiats. Dans le cas de l’Irlande en plus, cette réaction a obligé le parlement à prendre des mesures. Ces succès sont très importants, à la fois pour les résultats immédiats obtenus, mais aussi parce qu’ils donnent à de plus en plus de femmes la confiance nécessaire pour briser le silence, parler de la violence qu’elles ont vécue, porter plainte et lutter contre le sexisme et les inégalités.
Nous vivons dans une société qui crée une culture où l’on enseigne aux garçons et aux hommes, dès leur plus jeune âge, que le corps des femmes et des filles est conçu comme un objet qu’ ils possèdent. Où ce droit est-il appris ? L’idéologie sexiste et le sentiment d’avoir droit au corps des femmes et des filles sont transmis par toutes les institutions du capitalisme, par la famille ou l’Église et par l’État et son système éducatif, par les réseaux sociaux et les médias de masse. Cette idéologie est tellement enracinée et omniprésente qu’elle s’est naturalisée. Si les exemples ci-dessus nous ont appris quelque chose, c’est que ces puissantes institutions du capitalisme peuvent exercer un contrôle démesuré et oppressif sur la vie de la classe ouvrière.
Cependant, ils nous apprennent aussi que, lorsque les masses se rassemblent et expriment leur indignation par le biais de l’organisation, même des institutions hyper-puissantes, comme l’Église, le parlement ou une entreprise privée, peuvent être contraintes de reculer. Ce n’est que par l’organisation collective que la société peut se transformer.